Saint-Paul. Transformer le monde pour Christ
MONOD, Adolphe, Saint-Paul. Transformer le monde pour Christ , Impact Héritage, Trois-Rivières, 2019, 139 pages.
Le contenant
Comme c’est beau de lire du bon français d’époque. Ça fait changement des traductions. J’adore l’intimité qu’on ressent avec l’auteur grâce au choix de police de caractère et au léger décalage des lettres qui rappelle une écriture à la dactylo – ou les journaux fraîchement sortis des presses du 19e siècle.
J’ai beaucoup apprécié que plusieurs versets sont reproduits en bas de page plutôt que de simplement mettre la référence car cela m’a évité d’interrompre le flot d’une si belle prose pour aller feuilleter ma Bible.
Le contenu
Essentiellement, l’auteur fait l’éloge de l’apôtre Paul, d’une manière non idolâtre et en ayant comme objectif non caché que nous le prenions comme modèle pour notre vie chrétienne. Ce n’est pas un traité de théologie mais une série de discours qui ne ménagent pas les procédés d’appel aux émotions pour nous exhorter à plus de zèle dans notre manière de suivre Jésus.
[…] en vous entretenant de Paul, je n’ai pas voulu glorifier Paul; j’ai voulu vous offrir un type sur lequel puisse se régler ceux qui ont à cœur de se conformer à la volonté de Dieu, et d’accomplir leur œuvre. p.116
Premier discours : son œuvre
Dans ce texte, Monod présente l’œuvre de l’apôtre Paul comme faisant partie de « la plus grande et la plus salutaire [révolution] qui ait été accomplie dans le monde» tout en précisant que cette révolution a été « opérée par Jésus-Christ » p.13.
C’est une perspective originale qui va au-delà du récit des voyages de Paul qu’on retrouve déjà dans les Écritures. Aujourd’hui, comme chrétiens, nous sommes souvent considérés comme conservateurs mais d’un point de vue historique, le message de Jésus contenait en germe bien des changements comme « l’affranchissement des esclaves, l’émancipation de la femme, l’élévation de la vie domestique, l’amélioration des lois, l’adoucissement des mœurs, la diffusion des lumières, le progrès […] de la bienfaisance » p.13. L’auteur souligne comment « saint Paul a semé à pleines mains dans le monde tous les germes de la culture, de l’éducation, de la justice, de l’ordre, de la liberté, de la civilisation » p.31 et je pense que les non-croyants seraient d’accord avec cette affirmation puisque l’on reconnaît facilement ce qui est souvent identifié comme l’héritage judéo-chrétien.
Monod traite bien sûr aussi de l’œuvre de Paul pour l’Église et de son importance dans la Bible. Néanmoins, il nous invite à ne pas se laisser intimider par l’exemple de l’apôtre. Au contraire, il considère que Dieu appelle et prépare chacun de nous à une œuvre spécifique : « un troupeau à nourrir de la Parole de vie; […] une famille à entretenir et à conduire dans les voies du Seigneur; […] un ménage à diriger et de jeunes enfants à instruire » p.34 entre autres exemples.
Je retiens l’exhortation à être contente de la tâche qui m’est échue et à la remplir. J’apprécie le rappel que si Dieu appelle, il prépare et équipe assurément.
Second discours : Son christianisme, ou ses larmes
Monod s’arrête sur les larmes de Saint-Paul comme trait caractéristique de son christianisme. Larmes de la douleur, larmes de la charité, larmes de la tendresse… l’auteur rappelle que Jésus lui-même a versé des larmes dans toutes ces catégories.
Concernant la douleur, beaucoup d’encre a coulé sur son importance pour nous amener à la croix. Contentons nous de retenir cette formulation très poétique de Monod : « Si les douleurs de Jésus-Christ plaident auprès de Dieu pour la grâce de l’homme pêcheur, elles plaident aussi auprès de l’homme pour la doctrine du Dieu Sauveur » p.44
Monod s’attriste du faible coût d’être chrétien à son époque, comme si le confort privait les chrétiens d’une dimension importante de leur relation avec Dieu. Que dirait-il aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales? S’il est facile de prétendre autour d’un thé qu’on souffrirait volontiers bien des douleurs plutôt que de renier Christ, il est plus difficile de comprendre comment le glorifier dans nos petites souffrances de tous les jours. Monod est muet sur le sujet alors qu’il dénonce la « vie de frivolités » et appelle à une vie « sérieuse, humble, crucifiée »p.46.
Concernant la charité, j’ai retenu que les larmes de Paul pour les âmes perdues en disent long sur la conviction qu’il portait quant à la véracité de son message. Cela m’a fait me questionner sur l’amour que je porte à mes proches non encore croyants. Est-ce que j’ai assez de charité pour leur annoncer l’Évangile comme si leur salut m’était aussi nécessaire que le mien, pour reprendre l’expression de l’auteur?
Concernant la tendresse, j’ai beaucoup aimé le portrait de Paul comme quelqu’un avec « un cœur sensible, aux attachements tendres, aux émotions vives, à la larme facile » parce que c’est un don que j’ai moi-même reçu de Dieu et qui est souvent mal perçu dans le monde. Cela m’a grandement ému que l’auteur rattache cette qualité à l’humanité normale – par opposition à l’humanité déchue p.59 et qu’il soutienne que « l’Évangile aiguise tous les sentiments vrais et resserre tous les attachements légitime » p.58. Cela ne nous soustrait pas à l’exercice d’analyser nos émotions pour voir si elles sont vraies ni à la possibilité que notre caractère déchu nous trompe dans cet exercice, mais, par l’exemple de Paul qui s’est laissé profondément transformé par l’Évangile, cela nous donne l’espoir d’une émotivité renouvelée.
Troisième discours : sa conversion
En se basant sur le récit de la conversion de Saul, dans Actes 9, l’auteur insiste sur le fait que le texte ne « dit nulle part : Saul se convertit; mais il nous le montre faisant des œuvres toutes nouvelles, et nous laisse le soin de conclure que son cœur a été changé » p.65. Cela nous rappelle la souveraineté de Dieu dans le salut, la nécessité de naître de nouveau, la mort du vieil homme au moment de la conversion et le fait qu’on peut remarquer les fruits dans la vie des chrétiens véritables.
Or, Monod souhaite que son discours nous encourage à imiter Paul, alors qu’il est impossible de produire volontairement du fruit ou de prouver la régénération de notre cœur. Il écrit lui-même que la conversion c’est plus qu’une réforme de conduite, qu’une soumission à la loi morale, qu’une acceptation de principes religieux ou qu’une amélioration progressive du caractère. Il parle de changement de direction de notre vie, ce qui est facile à comprendre pour moi qui a expérimenté une conversion « spectaculaire » mais cela peut laisser songeur les chrétiens qui ont grandi dans une famille chrétienne et commencé à suivre le Seigneur en jeune âge.
Le reste du discours expose comment Dieu avait préparé Saul « dès le sein de sa mère » nous rappelant la base de la doctrine de la prédestination et nous invite à chercher Dieu par la foi, à le prier pour obtenir un cœur nouveau et à s’attendre à sa grâce avec confiance.
Quatrième discours : Sa personnalité ou sa faiblesse
Dans ce discours, Monod reprend les principaux dons de caractère, de sentiments et d’intelligence de l’apôtre Paul et les contraste avec son aveu de faiblesse. On en retient qu’il est tout à fait normal de se sentir insuffisant pour l’œuvre à laquelle le Seigneur nous appelle, et que c’est même une bonne chose.
L’exemple de Paul nous sert ici de rempart contre l’orgueil, la complaisance, la confiance propre et nous montre comment la faiblesse donne toute la place à la force divine, et donc à la gloire de Dieu.
Un passage qui m’a particulièrement touché, car je me demande souvent pour quelle œuvre le Seigneur m’a appelé, c’est celui-ci :
L’œuvre que vous avez en vue est-elle bien votre œuvre, que Dieu vous a assignée à vous proprement? […] Voilà la question à résoudre par la réflexion, par la prière, par tous les moyens à votre portée – à moins qu’elle ne soit toute résolue par un devoir de position, puisqu’il n’y a besoin ni de réflexion ni de prière, par exemple, pour s’assurer qu’un père de famille a mission d’élever ses enfants […] Une fois cette question résolue et votre œuvre bien déterminée, en avant, et sans crainte! Dieu qui vous appelle, vous dit en même temps […] « Va, avec cette force que tu as; n’est-ce pas moi qui t’ai envoyé? (Juges 6:14) p.110
Cinquième discours : Son exemple
Dans son dernier discours, Monod dénonce les chrétiens qui se refusent à une existence crucifiée, allant même jusqu’à les traiter d’ennemi de la croix et à les destiner à la perdition. Il prétend que ces chrétiens échappent à la discipline d’église mais je me questionne si c’est possible à moyen ou long terme d’avoir l’air de porter du fruit sans avoir un cœur régénéré.
Il compare le cheminement de l’Église avec celui du croyant individuel qui, après une lune de miel avec Dieu après la conversion, peut être appelé à traverser des déserts difficiles. De ces épreuves, l’Église sortira « moins ardente, mais plus sérieuse, moins assurée, mais plus humble, moins satisfaite mais plus sanctifiée » p.122
Quant à nous, il nous invite à « porter notre croix », tout en reconnaissant qu’elle peut être difficile à identifier dans notre existence libre de persécution. Il écrit que « la croix se présente sous une forme moins redoutable et tout ensemble moins précise, quoi que non moins réelle, non moins amère : celle d’une existence entière d’obéissance à Dieu, de dévouement au prochain, de renoncement à soi-même » p.127
Questions de discussions
Comment savoir avec confiance quelle œuvre le Seigneur a préparé pour nous?
Comment distinguer notre appel de nos ambitions dans la chair?
Est-ce que notre sanctification est proportionnelle à la quantité et/ou à l’intensité de nos souffrances? Les chrétiens à qui Dieu a épargné les grandes épreuves sont-ils perdants?
Comment savoir avec confiance quel pas d’obéissance le Seigneur nous demande? Quel sacrifice pour le prochain? Quel renoncement à nous-même?
